· 

Les Prénoms, Florence Knapp, JC Lattès

 

 

 

Les Prénoms

Florence Knapp

Éditions JC Lattès

352 pages

À paraître, 01/10/2025

21,90 €

Traduction de l’anglais (Royaume-Uni) Carole d’Yvoire

1re édition, The Names, The Orion Publishing Group, 06/05/2025

Franck avait la malchance de porter son prénom. Il le savait. Certains prénoms vous tuent à l’instant qu’ils vous nomment. Franck était persuadé, jusque dans ses moments de bonheur les plus intenses, qu’il aurait pu avoir une vie meilleure sous une autre identité. Les gens ne le regardaient pas de la même manière que s’il s’était appelé Guillaume ou Théo. Les gens le regardaient de la manière dont lui regardait les Kévin. Il végétait sans grâce, au bas de la hiérarchie des prénoms.

Alice Zeniter, Juste avant l’oubli, Flammarion, 2015 & J’ai lu, 2016

 

Dis-moi ton prénom, je te dirai qui tu es. 

Qu’est-ce qu’un prénom ? Une affirmation de soi ? Une façon d’être au monde ? Une étiquette sociale ?

Notre destin se trouve-t-il déjà tout contenu dans le prénom que nous recevons à la naissance ? Est-il seulement concevable qu’une Dolores se voie offrir les mêmes chances qu’une Victoria ?

Notre prénom est-il une clef de notre existence ? reflète-t-il nos traits de caractère ? À travers lui, nos parents nous assignent-ils une mission ? Nomen est omen (le nom est présage) disaient les Anciens faisant leur la formule de Plaute dans Le Perse.

 

Le prénom que l’on porte a-t-il une quelconque incidence sur notre devenir est précisément ce que questionne Florence Knapp dans Les Prénoms, son premier roman encensé par les critiques outre-Manche et à paraître dans quelques jours aux éditions JC Lattès, dans la traduction de Carole d’Yvoire.

 

Gordon a intimé à Cora de se rendre à l’état civil pour déclarer la naissance de leur fils. En ce lendemain de tempête, accompagnée de la petite Maia, neuf ans, Cora hésite. Il n’y a pourtant pas à tergiverser. Puisqu’il est de tradition dans la famille de son époux d’inscrire le nouveau-né dans la lignée, elle n’a pas d’autre choix que d’appeler ce petit bonhomme Gordon, comme son père et son grand-père avant lui. Mais cela est loin, très loin de satisfaire Cora doutant qu’il soit bienvenu que son fils végète à l’ombre de ceux qui l’ont précédé, et redoutant que ce prénom transmette à son enfant le caractère violent, maltraitant et manipulateur de son père, qui la bat et l’humilie au quotidien à tel point qu’elle essaie de prendre le moins de place possible, de se faire transparente, de s’effacer.

 

Tu ne vois pas le risque ? aurait-elle voulu dire. Tu ne vois pas qu’appeler notre fils Gordon pourrait impliquer qu’il finisse comme toi ? Parce que c’était bien ça le problème.

 

Tout en se frayant un chemin au milieu des branches et des palissades mises à bas par la tempête, Cora se prend à rêver d’alternatives à ce prénom honni [dont la] première syllabe éclate en lui faisant penser à un bonbon dur qu’on croque, suivie d’un bruit mat, comme si quelqu’un jetait au sol un sac de sport. Soucieuse d’éviter de faire se lever l’une de ces tempêtes conjugales dont Gordon a le secret et qui la laissent sur le carreau, elle pense que Julian, qui signifie père ciel, serait un compromis susceptible de convaincre Gordon. Interrogée à son tour, du haut de ses neuf ans, la malicieuse Maia propose le cocasse… Bear. 

Bear ?

 

Oui, c’est tout doux, câlin et gentil, explique Maia en dépliant et refermant les doigts de sa main comme si elle froissait quelque chose de moelleux. Mais aussi, courageux et fort.

 

Alors, Bear ? Julian ? Gordon ?

 

Les Prénoms repose tout entier sur une structure dont la rigidité excessive met en lumière, par contraste, la plasticité des différentes versions de l’histoire en fonction du prénom donné à l’enfant. Les prénoms ont une histoire ; écrivent-ils la nôtre ? Courant sur trente-cinq années, d’octobre 1987 au 29 juillet 2022, de l’Angleterre à l’Irlande, pays de naissance de Cora, le livre est décomposé en chapitres espacés de sept années, chacun comptant trois parties selon que l’on suit Bear ou Julian ou Gordon. L’avantage de cette composition sans fantaisie aucune est d’aider le lecteur à garder présentes à l’esprit les trois versions de l’histoire même si, comme ce fut hélas mon cas, elle ne lui évite pas de se retrouver par moments perdu en rase lecture. Une des raisons, en ce qui me concerne tout du moins, est que les personnages secondaires (Sílbhe, la mère de Cora, et son ami Cian ; les amis ou conjoints des enfants de Cora et Gordon ; les enfants des enfants ; les personnes avec lesquelles Bear, Gordon ou Julian travaillent, celles qu’ils côtoient, etc.) sont nombreux ; leurs chemins de vie, leurs caractères, leur importance varient d’une histoire à l’autre, et tenir le fil clair de chacun d’eux s’avère un défi que je ne suis pas sûre d’avoir su relever. En effet, j‘en suis venue à confondre certains éléments de l’histoire de Bear avec celle de Julian, avec celle de Gordon et cela, nonobstant les différences flagrantes dans leur vie comme dans le regard que leur portent les autres personnages. Dans quelle version, Cora meurt-elle ? Dans quelle autre, pleure-t-on Sílbhe avec Cian ? Dans quelle autre encore, Cora rencontre-t-elle Felix ? perd-elle de vue Mehri pendant des années au point de ne plus savoir où habite l’amie dont elle était si proche ? Et Maia, Lily, Comfort, Orla… (un glossaire bienvenu se trouve à la fin de l’ouvrage, qui propose des pistes onomastiques pour comprendre chacun des personnages).

 

Mea culpa.

 

Les Prénoms est un roman sur la manière dont un prénom façonne la vie de celui qui le porte : un destin vers lequel tendre ou, à l’inverse, contre lequel il faudra lutter.

 

Certains prénoms sont comme la bande-annonce du destin de ceux qui le portent.

David Foenkinos, La Tête de l’emploi

 

C’est aussi un roman sur la violence conjugale quand le mari, médecin généraliste en apparence respectable et seul personnage à ne pas évoluer, annule son épouse (téléphone coupé, clefs de la maison et courrier confisqués…) au point qu’elle n’est presque plus personne, assignée dans une maison qui ne veut plus d’elle. Avec une écriture factuelle presque clinique, sans style particulier — à l’image de la sobriété du titre —, Florence Knapp dissèque les répercussions sur la famille alors que l’ombre paternelle plane, malveillante, sur leur destin à tous, quel que soit le nom choisi pour l’enfant, avant que l’épilogue ne vienne opportunément offrir une ultime possibilité.

 

Les Prénoms est un roman sombre dont le postulat de départ est intéressant, prometteur même, mais est-ce à cause de sa construction ? de son écriture ?, il m’est arrivé de m’y égarer et de m’y ennuyer.

 

Je remercie Babelio et les éditions JC Lattès pour cet envoi dans le cadre d’une masse critique privilégiée, et de leur confiance.

 


Écrire commentaire

Commentaires: 0