Le maelström de la rentrée littéraire d’automne oblige à faire des choix, certains subjectifs. La crainte que l’ombre proustienne ne fût trop écrasante m’avait fait écarter Retour à Balbec. Il n’en est heureusement rien. Voilà un roman de présences fantomatiques, un millefeuille de strates fictionnelles, qui s’élabore grâce à un jeu subtil de mises en abyme redoublées d’une cascade d’effets miroirs. L’ambiguïté est féconde dans ce roman dont, à mon grand regret, on parle bien trop peu.
Nomen est omen. Les Prénoms de Florence Knapp est un roman sur la manière dont un prénom façonne la vie de celui qui le porte : un destin vers lequel tendre ou, à l’inverse, contre lequel lutter ? Si le postulat de départ est intéressant, il m’est hélas arrivé de m’y égarer et de m’y ennuyer. Il est dommage que la construction rigide à l’excès corsète et éteigne la force d’une histoire prometteuse et que l’écriture sans relief amenuise la profondeur des sujets difficiles et courageux.
Nancy-Saïgon est une mosaïque de formes, un dispositif narratif déjà mis en œuvre dans Champ de cris (Seuil, 2022). Adrien Genoudet explore ici encore toutes les manières de fabriquer une histoire, de l’inscrire sur la page, de la raconter, de l’appréhender dans ce qu’elle a de plus fondamental, d’en recomposer le déroulé, zones d’ombre y comprises. Et c’est une réussite. Ouvrez ce carton revenu d’un passé jusque-là impénétrable. Faites le voyage Nancy-Saïgon.
Frédéric Berthet est mort à quarante-neuf ans, d’une crise cardiaque le jour de Noël 2003. Quelle postérité pour un écrivain passé telle une comète dans le ciel littéraire de la France des années 1980-1990 et dont les inédits posthumes font l’essentiel de l’œuvre puisque seuls cinq ouvrages ont été publiés de son vivant ? L’Impassible est un épatant recueil d’une cinquantaine de ses billets d’humeur et d’humour à avoir paru dans la presse, ainsi qu’un très bel ouvrage tiré à 2 500 exemplaires.
Vers l’écriture est un partage d’expériences, un récit autant de transmission que d’écoute patiente et d’échanges dynamiques. Il s’inscrit dans le prolongement d’un séminaire que Jeanne Benameur a mené à Montauban, il y a dix ans, auprès d’un public d’une vingtaine de personnes, pendant une année, à raison d’un week-end par mois. C’est aussi l’occasion d’enrichir ce qu’elle n’avait que brièvement abordé au cours de quelques entretiens accordés à des revues spécialisées, en 2006 et 2020.
Marin Postel signe un premier roman sur les murs que l’on érige, pierre après pierre, lentement jusqu’à les rendre infranchissables, sur la douleur de la séparation annoncée, l’amertume des désillusions, la difficile émancipation du milieu familial et, hélas, sur la tragédie en embuscade. Cette histoire d’une famille malhabile à se comprendre, somme toute banale et déjà maintes fois lue, vaut par un astucieux parti-pris narratif et la force de l’écriture qui nous suspend au récit.
Le deuxième roman de Marie Mangez est inspiré de l’affaire qui secoua en 2018 Der Spiegel, journal allemand de renom, sans en être la stricte réécriture. Si certaines situations sont fort similaires, Les Vérités parallèles, entre cynisme et compassion, est le récit de l’ascension et de la chute d’un grand reporter. Et montre comment la fiction, s’approchant davantage de la réalité que l’écriture fidèle des événements, s’avère suffisamment convaincante pour berner son monde. Et nous, lecteurs ?
Jours envolés au jardin d’été de Xavier Gardette est un tout petit volume inracontable, une surprenante alchimie de forces élémentaires, un récit un rien suranné, un journal méditatif qui s’adresse à tous, amoureux des jardins ou non, et en particulier à ceux qui se réjouissent de ressentir la plénitude des émotions premières et y trouvent encore des raisons de vivre heureux.
Octobre 1799. Le général Bonaparte débarque en Provence après deux années passées en Égypte. Arrivé à Paris, ne trouvant pas Joséphine à leur hôtel particulier, il se rend chez Barras, persuadé que l’homme influent du Directoire, ancien amant de son épouse, sait où la trouver. S’ensuit un duel virtuose entre deux animaux politiques dotés d’une formidable mécanique intellectuelle, dont l’un est sur le déclin alors que l’autre sait qu’un destin s’offre à lui. Un texte en tension passionnant.
Penser un récit à travers l’image. Le voyage du carnet n’a pas eu lieu, du moins n’a-t-il pas eu lieu ailleurs que dans le regard que l’auteur pose sur les photos noir et blanc de trois photographes coréens, et quelques autres issues de collections privées. On voyage d’une photographie à l’autre à la rencontre d’une Corée non idéalisée, presque radicale. C’est une atmosphère, un état d’esprit, en aucun cas un reportage qui voudrait documenter le pays au mitan des années 1980. Un bel objet.