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Biche, Mona Messine, Livres Agités

 

 

 

Biche

Mona Messine

Livres Agités

208 pages

05/06/2022

18,90 €

Premier roman

L'âme d'un chasseur est une carnassière de ridicules et de sottises.

Jules Renard, Journal 1893 - 1898

Dans la forêt, avait prévenu Alan, tout était à sa place. Les cadavres des hommes aussi.

 

Biche est le premier roman de Mona Messine. Il est publié aux jeunes éditions Livres Agités qui proposent de faire entendre la voix des primo-romancières. Sans les 68 premières fois qui lont inclus dans leur sélection 2023, je crois bien que je ne serais jamais allée vers ce roman dont la 4e de couverture me disait qu’il n’était pas pour moi. Et de fait, l’était-il ?

 

L’été se meurt, non sans lancer ses derniers feux. L’automne s’installe avec ses brumes vaporeuses ; ses couleurs chatoyantes ; ses matins frisquets ; ses nuits de plus en plus longues ; ses bourrasques orageuses ; et la paix de ses dimanches de septembre qu’éraflent les tirs que les chasseurs retiennent depuis le printemps.

 

Sans eux, le cadre serait idyllique, celui d’une forêt et son écosystème plongés dans une atmosphère un peu mystérieuse :

 

Le son du vent entre les feuillages guidait ses inspirations, c’était le rythme à adopter, celui de la forêt, qui calmait instantanément toutes ses angoisses. Les rainures sur les écorces des arbres avaient parfois l’air de lui sourire. Les troncs, les buissons défilaient contre ses cuisses fines. Son corps et ses décisions restaient tributaires de cette nature autour d’elle. Elle la suivait à la ligne, certaine que la forêt reine les couvrait de ses bras verdoyants. Ce matin, sa lubie de profiter de la prairie, des faons et des autres biches lui fit oublier la peur, comme pour donner au silence une nouvelle possibilité d’exister, qu’aucune arme ne l’interrompe. Ce matin, elle y croyait.

 

Biche est une fable, une fable noire façonnée autour du motif de la prédation dont elle réutilise les poncifs d’usage. Elle raconte une journée particulière de chasse qui, on s’en doute assez vite, finira mal. Mal oui, mais pour qui ? 

 

Pour les animaux de la forêt ? Pour Elisabeth, vieille biche malade ? Pour Hakim, petit hérisson candide ? Pour les faons et les autres membres de la harde ? Pour la biche du titre, celle qui nous regarde en couverture et illustre cette phrase du roman ?

 

Ce matin, la biche, pour se soustraire aux regards, se fondait avec les autres dans les feuillages caramel. Elle faufila son corps, le coula entre les troncs d’arbustes, poursuivit sa récolte.

 

Pour Alan, garde-forestier un peu naïf, un peu maladroit, qui tente depuis un traumatisme d’enfance de faire son dérisoire possible pour protéger les animaux, tout en surveillant les chasseurs et ce qui leur est autorisé de faire, ou pas ?

 

La joie pouvait venir d’une queue leu leu de marcassins au printemps, du son du brame qui retentissait souvent, ou des restes de nids tombés des branches, qu’il replaçait comme il le pouvait. Contempler la singularité de chaque flocon de neige constituait sa rengaine. Alan, vaine brindille au milieu des grands arbres, sauveur de faisans fous, garde forestier ivre de son métier, rempart des biches contre le monde humain.

 

Pour ce groupe de chasseurs venus dans les bois pour une battue, la première de la saison ? Pour Gérald, fine gâchette, chasseur aguerri et convaincu de la pureté de la chasse, qui inexplicablement se perd pour mieux se retrouver en un face-à-face inégal avec sa proie ?

 

Il fut immédiatement certain d’une chose : c’était l’animal qu’il devait abattre. Il tourna la tête en direction d’une rangée de conifères. Le roi animal se tenait là, devant lui, les bois magnifiés par les reflets dans la pénombre. Absent de toute réalité, hypnotisé par lui-même. Un cerf gigantesque, peut-être le plus beau de tous. Sentinelle de la forêt, née au milieu du soir après les coups de canon dans le ciel. […] Gérald n’en croyait pas ses yeux, comme si les planètes s’alignaient enfin. Voilà pourquoi il s’était perdu. Voilà pourquoi la déviation du chemin. 

 

Pour son fils de 14 ans pour qui cette partie de chasse est une manière de baptême, un rite de passage ?

 

Quand Basile rentrerait ce soir à la maison avec son paternel, il raconterait à sa mère et à sa sœur […] comment il avait […] triomphé du mal. 

 

Pour Linda, quelque peu frustrée du rôle de rabatteuse dans lequel les hommes la cantonnent, qui ronchonne après les réglementations françaises qu’elle trouve absurdes et corsetées  ?

 

Elle [Linda] se souvint des gélinottes et des chevreuils du Québec. Majestés que l’on avait le droit d’abattre même en hiver. […] Pour elle, c’était ça la définition d’une famille : braver le danger pour nourrir les siens. C’est ce que l’avait fait choisir cet endroit lorsqu’elle s’était expatriée en France après la mort de ses parents, la volonté d’aller au plus près de la forêt pour recréer ici la légende.

 

Apprécier pleinement Biche réclame de s’abandonner à l’univers merveilleux des contes, de déposer en lisière de la forêt et au seuil du livre notre esprit cartésien toujours sur le qui-vive dès lors qu’il s’agit de relever les incohérences — hélas nombreuses ici. Que les animaux portent un prénom et pensent signale que nous sommes bien dans un conte, mais voilà que les hérissons stridulent❞ tels des criquets et que les tiques faussent compagnie à la famille des acariens pour rejoindre celle des insectes. Ajoutons à cela que la personnification, qui a sa raison d’être dans ce roman j’en conviens, pourra décourager certains lecteurs par son manque de finesse.

 

Une amanite à peine sortie de terre rentra son chapeau et prévint par ses racines les arbres tout autour. La guerre avait commencé. Les mucus et les feuilles bruissèrent et relayèrent les informations. Les invasions silencieuses avaient-elles poussé le chasseur à bout ?

 

Le propos sous-jacent à défaut d’être neuf et adroit propose une critique de notre société dans laquelle chacun cherche sa place et où certaines personnes n’ont pas voix au chapitre. La lutte et le partage hiérarchique mortifère entre l’homme et la femme, entre l’homme et l’homme,

 

L’aplatissement des classes sociales à la chasse. La vérité, s’il [Gérald] avait rejoint les chasses luxueuses qui faisaient rêver les autres, c’est qu’il aurait été situé en bas de leur échelle, […] Il préférait rester le meilleur parmi ceux d’en bas, c’était plus facile à vivre.

 

entre l’homme et le reste du vivant, mérite, il est vrai, que l’on s’en préoccupe, de même que des conséquences funestes des saccages irréversibles que l’on inflige à la nature alors que des espèces animales et végétales s’éteignent dans l’indifférence presque générale. Mais Dieu que tout cela est mal ficelé et d’une naïveté confondante dans ce roman qui va à la facilité et souffre de longueurs ainsi que d’une écriture qui se cherche — c’est un premier roman bien sûr —, entre lyrisme excessif et application scolaire.

 

Et même si, au bout du compte et en dépit de toutes ces maladresses et inexactitudes, la morale de l’histoire est sauve, là encore l’absence totale de crédibilité de l’épisode final, dont je ne peux rien dire, achève de mettre le propos à terre.

 

Je ne vois aucune objection à ce que les auteurs fassent le choix narratif du conte ou de la fable pour un lectorat adulte, encore faut-il que la hauteur du propos soit, elle, en accord avec ceux auxquels il est destiné. Ce n’est hélas pas le cas ici. Une lecture décevante.

 


꧁ Illustration ⩫ Agnes Miller Parker, 1929 ꧂


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