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Les Poumons pleins d'eau, Jeanne Beltane, Éditions Les Équateurs

 

 

 

Les Poumons pleins d'eau

Jeanne Beltane

Les Équateurs

142 pages

24/08/2022

16 €

Premier roman

le suicide, n'est pas un acte libre, n'est pas un fait social

c'est une solution

pour libérer les âmes mortes qui pèsent sur nos corps

Camille de Toledo, Thésée sa vie nouvelle

Qu’est-ce qui pesait sur le corps du père de la narratrice pour qu’il décide de se suicider alors qu’à peine quelques heures auparavant, enjoué, il lui avait parlé au téléphone ?

Quelles âmes mortes marchaient au côté de cet homme volontiers fantasque et tête brûlée ? Un homme qui ne savait vivre que dans les excès d’alcool, de cigarette ou de danger. Un homme qui avait maintes fois frôlé la mort et l’avait pourtant jusque-là esquivée, comme si elle avait décidé ne pas vouloir de lui. Pas encore. Lui faisant comprendre que c’était elle, et non lui, le maître des horloges.

Pourquoi un homme aux survies miraculeuses venait-il de se donner la mort qu’il avait si souvent pris plaisir à narguer ? Pour l’apprivoiser ?

Quelle solution avait-il entrevue dans le suicide ? celle de Partir par la grande porte, et éviter le mouroir ?

 

Claire, sa fille, reste avec un écheveau de questions sans réponses. Elle s’en veut de n’avoir pas su percevoir dans la voix du père l’irrémédiable qu’il s’apprêtait à commettre. 

 

La réalité était là, implacable. Une heure trente après l’avoir appelée la veille au soir, son père s’était suicidé. Rien dans la conversation ne l’avait alertée. Elle se souvenait même d’avoir écourté.

 

Pour son premier roman, Les Poumons pleins d’eau, Jeanne Beltane choisit de s’en remettre à l’absurde pour évoquer le deuil et ceux qui restent tout en cherchant à amadouer les souvenirs qui les hantent.

 

Les Poumons pleins d’eau est un roman à formes de narration multiples — un récit à la troisième personne nous parle de la fille et de sa façon de composer avec l’absence ; l’autre, à la première personne, est celui du père ; 

 

Je ne savais pas s’il fallait en rire ou en pleurer. En tout cas, ça m’a conforté dans mon choix. Ciao les cons ! Vous aviez des plans de carrière pour moi et je n’ai pas été à la hauteur ? Je vous fausse compagnie ! Continuez à macérer dans vos regrets poisseux, à panser vos ego flétris. Je me fais la belle.

 

et enfin les carnets de Claire dans lesquels elle consigne ses rêves. S’y mêlent réel et imaginaire, vécu et fantasme, savoirs tangibles et savoirs improuvés, en de fréquents allers-retours avec les personnages et leur histoire. Que nous ne sachions ni où ni quand le récit prend forme participe à nous transporter dans l’un de ces lapsus du temps et du lieu ouvert à tous les possibles où le deuil, hors de tout contexte, devient une douleur universelle. L’écriture élucubre entre absurde et humour souvent très noir, parfois carrément macabre, alors que Jeanne Beltane sème au fil des pages le souvenir de ce père vraiment pas comme les autres et qui, par un improbable concours de circonstances, se retrouve réincarné en épinoche à tourner en rond dans un bocal.

 

Il n’est jamais aisé de parler du deuil, sujet aussi sensible qu’usé. Et intime. Tellement intime. Jeanne Beltane, jouant de son matériau autobiographique, fait le pari d’écrire un roman pour le moins singulier, onirique par moments ; l’invraisemblance absurde et farfelue étant sa manière à elle de ne pas choir et de continuer à se maintenir debout, d’échapper à l’abîme de sa souffrance, de porter le fardeau écrasant du suicide du père et de broder autour de son absence. 

 

Il est indispensable que le lecteur lâche prise, faute de quoi il restera, comme moi, au seuil de cette histoire piquée d’audace et, j’en conviens, émouvante, dont l’écriture, occupée comme la narratrice à fuir le réel par tous les moyens, peut néanmoins rebuter.

 

Le réel, lui, s’impose comme une fiction contraignante, vulgaire et violente, loin de toute vérité. Au contraire des réminiscences des songes de la nuit passée, bien plus accueillantes. 

 

Histoire qui explore la relation rarement au beau fixe d’une fille à son père alors que celui-ci vient de mourir et se trouve, miracle de la métempsycose, réincarné en épinoche,

 

La suite aurait pu être classique : morgue, église, pierre tombale. Mais comme je leur avais fait une dernière vilaine blague, les vivants m'en ont fait une en retour. Après mon incinération, ils ont dispersé les cendres dans un lac. Il fallait les voir, en maillot de bain, agitant l'urne au-dessus de l'eau. Surréaliste. La suite est un mauvais karma : mes débris d'os bouffés par un poisson trop curieux, le grand-père qui emmène sa petite-fille à la pêche, la gosse qui me met dans un bocal.

Et me voilà qui tourne en rond.

 

Les Poumons pleins d’eau sous couvert d’un humour pas toujours adroit pose les questions auxquelles tous ceux qui ont perdu un être cher tentent de répondre bon an mal an et la plupart du temps de manière pratique et raisonnée au moment de faire leur deuil. 

 

Tenter de faire son Deuil.

Ouvrir tous les Tiroirs de sa Mémoire.

Laisser Palpiter les Souvenirs.

Vider sa tête d'un trop plein de Pensées.

Laisser le Chagrin ruisseler.

 

Beaucoup de tendresse dans l’étude des rapports complexes qui unissaient Claire et son père de son vivant, et que la mort violente a compliqués, forcément, sans les distendre, bien au contraire. Ce sont cette tendresse-là, cette fragilité-là, bien cachées sous l’épais vernis absurde qui hélas recouvre le dialogue intime entre la fille et le père, qui ont sauvé ma lecture de ce roman qui commençait pourtant bien, mais que j’ai failli lâcher à plusieurs reprises, peu sensible et passablement lassée par le choix narratif.

L’originalité de ton suffit-elle à donner sa texture à un roman sur un sujet universel et nonobstant si difficile à partager ? Pour moi, et ce n’est que mon avis, clairement non, dans la mesure où cela m’a même éloignée du propos. Il n’est pas facile de renouveler l’écriture du deuil.


꧁ Illustration ⩫ ÉpinochesLithographie1882 ꧂


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