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Blizzard, Marie Vingtras, Éditions de l'Olivier

 

 

 

Blizzard

Marie Vingtras

Éditions de l'Olivier

192 pages

26/08/2021

17 €

Premier roman

 

❝Le sang sur la neige, très propre, rouge et blanc, c’était très beau.❞

Jean Giono, Un roi sans divertissement

 ❝Puisque je ne sais même pas dans quelle direction aller, je vais marcher droit devant moi, c’est ce qu’il a dû faire. C’est bête parfois un gamin, ça fait des trucs sans réfléchir, à l’instinct, même un petit génie comme lui. Alors si je ne réfléchis pas, moi, j’avance tout droit. C’est sûrement ce qu’il y a de mieux à faire.❞

 

Un acte anodin ; des conséquences terribles.

L’Alaska. Bess et Tom sont sortis malgré le blizzard qui souffle en tempête et efface le paysage alentour. Bess a lâché la main de l’enfant quelques secondes pour refaire le lacet de sa chaussure et quand elle relève la tête, Tom n’est plus là. Disparu. 

 

Blizzard, premier roman de Marie Vingtras, est un récit tout en tensions (un pluriel, oui) qui par bien des aspects lorgne vers le roman noir et psychologique. Il est donc difficile d’en parler sans courir le risque de trop en dire, aussi je me garderai de donner le moindre indice définitif sur les personnages, puisque leur lent dévoilement est ce qui préside à la progression du roman et à sa conclusion.

 

Nous formions une mosaïque compacte que chaque individu venait parfaire sans que personne puisse contempler le résultat dans sa globalité.

 

L’image de la mosaïque à laquelle Benedict recourt pour décrire sa famille est aussi celle qui préside à l’organisation du roman, une mosaïque de voix avec leurs fêlures. Bess, Benedict, Cole et Freeman prennent tour à tour la parole pour raconter leur « je »  intime dans des chapitres de quelques pages, deux trois guère plus, pour dire ce qui les a amenés à s’installer dans ce coin perdu en terre hostile pour y disparaître. C’est à travers ce qu’ils livrent d’eux-mêmes, de leur passé, de leur vérité, de leurs esquives et enfin de leurs fuites que le lecteur peut espérer saisir qui ils sont réellement et tenter d'apercevoir leur part intime et dérobée pour trouver des réponses à des questions devenues lancinantes :

 

✦ Comment Benedict Mayer, ❝cet homme-ours, hirsute❞ s’est-il retrouvé avoir la garde du petit Tom, enfant à haut potentiel de dix ans ?

✦ Pourquoi Bess, jeune femme originaire de Californie, ❝incongrue au milieu du paysage avec sa mini-jupe en velours et ses santiags blanches❞, loge chez Benedict et l’aide à s’occuper de Tom ?

✦ Pourquoi ne peut-on se défaire d’un sentiment diffus de malaise en présence de Cole pourtant vieil ami de la famille Mayer ?

✦ Et pourquoi Freeman, ❝le seul Noir à la ronde❞, ancien vétéran du Vietnam est-il venu se perdre dans cette ❝terre de désolation qui suinte le malheur❞

Comment… ? Pourquoi… ? Des questionnements sans fin.

 

Les monologues distillent les informations et instillent le suspens. Les personnages se racontent de manière éclatée et donc très parcellaire, laissant percer ici un détail, là un souvenir, là encore une confession dont on sent qu’ils pourraient expliquer comment ces hommes et cette femme en sont venus à se croiser dans cette immensité blanche et inhospitalière alors que rien a priori ne les y disposait. Leurs monologues les isolent autant qu’ils jettent des ponts vers les autres personnages. Là, à la manière d'un Faulkner, Marie Vingtras excelle.

 

À cet égard, il est préférable, puisque la brièveté du roman l’autorise, de lire ses 192 pages d’un seul jet pour mieux avoir à l’esprit les différentes tesselles de la mosaïque et décider de la meilleure façon de les faire ajointer. Car c’est là aussi qu’est l’intérêt du roman : quelles pistes suit-on ? Et si la disparition de Tom n’était pas le point focal de l’histoire, mais un simple élément déclencheur ? une disparition parmi tant d’autres ?

 

Car la disparition et la fuite sont l’un des thèmes récurrents.

Le frère de Benedict, Magic le fils de Freeman ou encore Elizabeth Morgensen, tous ont succombé à la tentation de s’évanouir du paysage sans laisser de traces. Bess ne souhaite-t-elle pas être ❝un être de passage, telle une comète, puis disparaître, toujours repartir, toujours sur la route.❞

 

La liberté, fille du mouvement perpétuel. 

 

❝Il [Le frère de Benedict] lui avait raconté aussi ce que j’ignorais, qu’il ne pouvait pas rester au même endroit, immobile comme le fruit tombé de l’arbre alors que la vie n’était qu’un mouvement perpétuel, petit ou grand, un mouvement constant vers l’autre, d’autres lieux, d’autres gens, d’autres histoires.❞

 

Vous pensez comme moi à Jack Kerouac, n’est-ce pas ? Disparaître pour être libre de recommencer autre chose, ailleurs. L’histoire de chacun prouvera pourtant combien, dans leur cas, c’est illusoire. 

 

Il est tout aussi illusoire de venir se perdre dans le Grand Nord pour échapper à la culpabilité qui leur colle aux basques et y trouver une hypothétique rédemption, car, oui, tous portent le poids d’une faute à expier. 

 

❝Quelquefois le poids des secrets est si lourd qu’on ne sait même plus comment s’en débarrasser sauf en disparaissant avec eux.❞

 

De quoi diantre se sont-ils rendus coupables ? Quelles erreurs anciennes doivent-ils réparer ?

 

Plus on avance dans la lecture, plus les questions se pressent et on en viendrait presque à oublier qu’un enfant est dehors, en train de livrer une lutte inégale avec les éléments déchainés. Et d’ailleurs, peut-être est-il déjà trop tard pour ramener Tom sain et sauf à Benedict qui a pris à cœur et avec une maladresse bourrue son nouveau rôle de père. La paternité, l’autre thème de ce roman. Qu’est-ce qui fait d’un homme un père convenable ? Défaillants, fugitifs, dépassés, biologiques ou d’adoption, les pères de ce roman sont la preuve que la paternité est aussi une aventure périlleuse, tumultueuse où se perdre.

 

Tout cela est bien mené et on pardonne volontiers les quelques coïncidences heureuses qui viennent parasiter l’histoire, notamment les rencontres avec certains des personnages secondaires. Ce que l’on pardonne moins, dans mon cas, c’est que l’Alaska, ❝ce pays où tout est engourdi l’hiver et s’emballe dans l’urgence l’été❞, est porté disparu. Le titre et la photo en couverture laissaient espérer un nature writing à la David Henry Thoreau (auteur pourtant cité) ou à tout le moins une histoire ancrée dans un territoire à la sauvagerie oppressante qui en serait devenu un personnage à part entière. Or, les monologues ont pris toute la place, les tempêtes intérieures ont éclipsé le blizzard qui rugit au dehors, et la nature, réduite à un prétexte (il faut que l’enfant se perde en territoire hostile pour que l’histoire s'ébauche), ne devient jamais un élément essentiel du récit. C’est là que ce premier roman, au demeurant bien construit et prenant, manque le coche. Dommage !

En 2022, ce roman a reçu le Prix des libraires et le Prix Jeune Mousquetaire.


꧁ Arrière-plan, ©Daniel Norris ꧂


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