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Petites choses, Benoît Coquil, Payot & Rivages

 

 

 

 

Petites choses

Benoît Coquil

Payot & Rivages

224 pages

16/08/2023

19,50 €

Premier roman

Si vous voulez que l'on garde votre secret, le plus sûr est de le garder vous-même.

Sénèque

 

Avant le décollage, Cayetano est passé vous transmettre un message de María Sabina. Elle vous demande de tenir votre langue. De ne pas trop raconter ce que vous avez vu ici. De taire le nom de Huautla et celui des Mazatèques, de taire son nom à elle. De ne pas pointer du doigt le village sur une carte et, surtout, de ne pas trop faire voir les photographies que l'ami de Gordon a prises quand elle était sous l'effet des petites choses. Ne les montrez pas à plus de personnes que vous avez de doigts sur une main, et avec cette main posée sur le cœur, jurez.

 

Pour son premier roman, Benoît Coquil s’intéresse aux petites choses. Las cositas. Des champignons d’apparence fragile, ni franchement beaux ni franchement bons, mais du genre à provoquer des hallucinations, et sur lesquels les Wasson vont attirer l’attention au sortir de la 2de Guerre mondiale. 

Valentina, émigrée russe, pédiatre, s’est mariée à Gordon Wasson, respectable banquier américain de Wall Street ; ils ont une fille Masha, 16 ans quand s’ouvre le récit. Benoît Coquil revient sur la vie de ce couple et les raisons qui vont l’amener à se consacrer presque exclusivement à l’étude du psilocybe et ses propriétés psychotropes naturelles. C’est grâce à leurs échantillons ramenés du Mexique, précisément du village mazatèque de Huautla, qu’à des milliers de kilomètres de là Albert Hofman isolera en 1958 dans son laboratoire suisse la psilocybine, principe actif du LSD, avec l’usage répandu que l’on sait en plein avènement du mouvement de contre-culture hippie. Un usage que mettra aussi à profit la CIA à des fins moins récréatives…

 

 

Pour ceux qui en douteraient, les Wasson n’ont pas su garder leur découverte secrète. Vérifiant au passage, comme l'écrivait feu Roland Jaccard, que seules les promesses non tenues ont de l’avenir, Gordon Wasson a fait publier dans le magazine Life du 13 mai 1957 Seeking the Magic Mushroom, un essai illustré de photos prises de leurs expériences sous psilocybine lors de leurs séjours à Huautla, et de dessins du botaniste français Roger Heim, alors directeur du Museum d’Histoire Naturelle.

 

❝ On ignore ce qui se dit au téléphone, cette semaine de mai 1957, dans les rédactions de Life et This week. Mais il est certain que les Wasson viennent d'éveiller une folle curiosité qui n'est pas près de s'éteindre, saupoudrant leur récit de deux ingrédients dont la jeunesse américaine se croyait privée pour toujours : la magie et l'aventure.❞ 

Voilà comment tirer de sa tranquille somnolence un village perdu de la région d’Oaxaca, auquel on n’accédait que par un avion assez aventureux pour se poser sur une mauvaise piste.

 

Sur les terres hallucinées où mène le champignon mazatèque, Masha et vous [Valentina] n'êtes pas les premières à marcher. Mais, cet après-midi-là, vous êtes les premières de l'histoire, peut-être, à le consommer sans cérémonie, sans chamane ni prière, sans fumée de copal, à titre de pure expérience. Le trip sorti du rituel. Vous ne serez pas les dernières.

 

De fait, Huautla devient la nouvelle Mecque de tout ce que le monde compte de vedettes en manque de sensations fortes — Lennon, Jagger, Morrison, Huxley, Ginsberg, Disney…—, mais aussi de pauvres hères en perdition. Fini le respect de la culture mazatèque qui voulait que ces champignons fussent exclusivement réservés à l’usage rituel et curatif ainsi que l’avait instamment demandé María Sabina, chamane aux pouvoirs étranges devenue bien malgré elle attraction touristique. Une tragédie symphonique en trois actes retraçant sa vie sera même créée au prestigieux Carnegie Hall en avril 1970, c’est dire !

 

Il est dommage que Petites choses reste de l’ordre de la biographie documentaire, aussi intéressante soit elle. Benoît Coquil, peut-être captif de ses nombreuses recherches sur le sujet, peut-être du fait de son métier d’universitaire, ne parvient jamais à « faire roman ». J’ai lu ses Petites choses comme un texte hybride, disons comme une narration littéraire documentaire — narrative non-fiction pour le monde anglo-saxon — qui relèverait à la fois du récit de voyage et d’expérience, de l’enquête sociologique voire politique et de la biographie ; un texte qui n'hésiterait pas à reprendre les écrits des et sur les Wasson en essayant de masquer au mieux la suture entre le récit et l’ensemble hétérogène des documents consultés, pratique courante, me direz-vous, dans les SHS. L’absence de dialogues accentue cette impression-là, que l’auteur a tenté de tempérer en ayant recours ici et là à une pointe d’humour ainsi qu’au « vous » qui apostrophe tour à tour lecteur ou personnages, créant une narration un peu hallucinée elle aussi, mi-sérieuse mi-rigolarde. 

 

Approchez voir Psilocybe haut comme trois pommes. Penchez-vous pour le cueillir et vous les verrez tourner, ces histrions du siècle dernier, enivrés qu’ils sont de lui.

Approchez, et vous saurez.

 

Je ne doute pas un seul instant de l’étendue des recherches faites ; mon regret est que Benoît Coquil n’a pas réussi, à mon sens, à dépasser les faits pour en faire une matière romanesque. Cette manière de journalisme narratif, quel que soit le nom que l’on veuille bien lui donner, est la preuve qu’il existe de nombreuses façons de raconter une histoire — certains auteurs préfèrent s’en tenir à la vérité ; d’autres, inventer leurs propres vérités ; d’autres encore, se contenter d’un juste milieu. Je crois que Benoît Coquil cherchait cette 3e voie. Le genre de la non-fiction narrative exige des recherches approfondies (qu’il a menées), une exploration minutieuse des sources (sans conteste ici) et un objectif de divertissement (je crois que cela aussi ne fait aucun doute), tout en partageant une histoire vraie et convaincante. Petites choses est exactement cela, un mélange des genres, une manière éclectique de faire littérature — à défaut de faire roman — qui ne m’a que partiellement convaincue donc, notamment parce que je n’ai pas réussi à voir quelle est la valeur ajoutée de la contribution de Benoît Coquil aux écrits, nombreux, l’ayant précédée sur le sujet depuis plus d’un demi-siècle.


꧁ Illustration ⩫ © Max Löffler, Magic Mushrooms 


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