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Bella Italia, Un itinéraire amoureux, Christiane Rancé, Éditions Tallandier

 

  

 

 

Bella Italia, Un itinéraire amoureux

Christiane Rancé

Éditions Tallandier

336 pages

09/02/2023

21,50 €

 

En Italie, il y a autant de voyages que de régions. On ne fait vraiment pas le même voyage selon l'endroit où l'on va.

Laurent Gaudé, Le Soleil des Scorta

L’Italie offre le seul voyage qui vaille, celui qui bouleverse l’âme et dessille les paupières. On en revient augmenté. Tant de formes artistiques devenues existence spirituelle ! Tant d’œuvres nées de l’homme, pour l’homme. Tant d’expressions de la plénitude ! La beauté est le principe fondateur de l’Italie. Plus que la guerre, c’est par elle que les cités ont démontré leur force et la prééminence des unes sur les autres, jusqu’au raffinement de leurs architectures militaires. D’une ville à un village, d’une rive à une plage, l’œil s’exerce à comprendre pourquoi tel peintre et non tel autre nous touche, pourquoi telle relation entre un style et la géographie qui l’entoure, pourquoi telle couleur, apposée contre telle nuance nous émeut. Pourquoi tout cela est si beau. On apprend à regarder. On voyage alors en soi. On élabore une Italie céleste, personnelle, idéalisée par le supplément d’efficience sur notre âme qu’elle engendre au fur et à mesure de nos séjours sur ses terres, et qui se superpose à l’originale. Tout comme ces nuages qui, flottant doucement dans l’azur, épousent la forme des paysages que leur ombre caresse et dont ils sont nés.

 

L’Italie. Christiane Rancé y est revenue dès la fin du premier confinement quand les voyages ont enfin pu reprendre ; j’ai moi-même couru vers Rome à l’été 2021. L’Italie est le pays où l’on vient pour se reposer des tumultes de la vie, pour cicatriser aussi.

 

Bella Italia, Un itinéraire amoureux. Ne négligeons pas le sous-titre, tout y est suggéré : le plaisir, la sensualité qui dessinent chaque jour un chemin buissonnier décidé par les mouvements du cœur, de Gênes aux villages des Cinque Terre ; des industrieuses Milan et Turin aux eaux calmes des lacs ;

 

Orta, Majeur, Côme, Iseo ou Garde : on peut discuter des heures pour savoir quel est le plus beau de ces lacs ; on ne se mettra jamais d’accord.

 

de Vérone

 

Si Dante en deuil de Béatrice a composé, à Vérone, son Purgatoire, si Pétrarque pleura ici la mort de Laure, c’est Shakespeare, qui n’y vint jamais, qui a donné à cette cité de quelque trois cent mille âmes son aura, ses fantômes, son caractère. Marquée au feu par la tragédie des Capulets et des Montaigu, Vérone ne put qu’offrir à la légende l’écrin de ses rues, de ses places, de ses palais.

 

à Florence où

 

en 1415, Filippo Brunelleschi invente les lois de la perspective, Florence entreprend une révolution artistique sans précédent au cœur même du Quattrocento. Rien ne sera plus jamais comme avant dans l’art occidental – et cela jusqu’aux Impressionnistes.

 

à Venise laquelle selon Paul Morand se noie et c’est peut-être ce qui pouvait lui arriver de plus beau,

 

de Pise à l'Ombrie dont

 

chacune de ces petites cités s'édifie comme un royaume ; parce que chacune se prend pour un empire. Spolète, Todi, Orvieto, Assise et Gubbio l'arrogante, « belles vivantes de vieux temps, petites d'or et de bronze », ce sont elles, chantées par Dante, et leur architecture féerique tout droit sortie d'un rêve rose du Quattrocento, qu'il faut aller visiter en hommage à ce temp d'or.

 

de Rome à Sienne vers laquelle mène 

 

une route de désir. Elle fait de moi une nomade de la beauté. Chaque surgissement – des tours et les donjons, de vieilles abbayes, les moissons de blé, les cités de poupée, tout dans cette campagne promet l’harmonie. Les virages se resserrent. La route grimpe. J’approche Sienne par degrés de plaisir, 

 

de Naples à la Villa des Mystères de Pompéi, à Ravello où germa le Parsifal de Richard Wagner, à la Sicile que les Siciliens aiment éperdument… le tout dans un désordre délicieux. Jean d’Ormesson n’écrivait-il pas que Tout le bonheur du monde est dans l’inattendu ?

 

Ce livre, il est entendu, n’est pas un guide de voyage. Et c’est heureux. Il est mieux que cela. Christiane Rancé nous écrit d’Italie et Bella Italia tient du journal intime, de la flânerie amoureuse, de l’évocation personnelle de ce Bel Paese ; l’anecdote s’y marie harmonieusement à l’érudition (la pompe et la morgue en moins) et le regard, encore ébloui des séjours passés, mêle souvenirs et histoire, moments fugaces de la vie quotidienne et ceux de toute éternité.

 

On apprend à regarder. On voyage alors en soi. On élabore une Italie céleste, personnelle, idéalisée par le supplément d’efficience sur notre âme qu’elle engendre au fur et à mesure de nos séjours sur ses terres, et qui se superpose à l’originale.

 

comme en écho à Milan Kundera

 

Il semble qu’il existe dans le cerveau une zone tout à fait spécifique qu’on pourrait appeler la mémoire poétique, et qui enregistre ce qui nous a charmés, ce qui nous a émus, ce qui donne à notre vie sa beauté.

 

La mémoire poétique de Christiane Rancé écrit divinement l’Italie, ses paysages majestueux, sculptés par la lumière ses campagnes vallonnées que ponctue l’exclamation des cyprès ; ses lacs aux eaux indéfiniment bleues où se mirent encore les souvenirs de Byron, Kafka, Stendhal, Bellini, Liszt, Joyce dont la présence fantomatique hante encore les sublimes villas qui s’alanguissent sur les rives fleuries ; ses mers éblouissantes ; ses villes et le dédale de leurs rues aussi belles dans la lumière du jour naissant qu’à la lueur de la lune quand monte la nuit ; ses ciels vibrant de tous leurs bleus sur les tuiles des toits et les places que rafraichissent des fontaines, somptueuses ou modestes, qu’égaie le clapotis languissant de l’eau ; la cuisine ensoleillée et généreuse de chacune de ses régions ; ses salles d’opéra qui résonnent encore des rôles de la Divina Callas ; ses théâtres où l’on se presse ; ses musées aux collections admirables ; ses églises aux trésors insoupçonnés ; ses palais aux jardins piqués d’odorants figuiers ou de pins prospères ; ses officines hors d'âge car hors du temps, telle l’Officina Profumo-Farmaceutica di Santa Maria Novella, plus ancienne pharmacie du monde, qui s'installa à Florence en 1221 et où l'on court acheter un flacon d'Aqua della Regina, morceau d'éternité que Catherine de Médicis offrit au roi de France ; ses figures tutélaires — Dante, Pétrarque, Vivaldi, Casanova, Marco Polo, Tiepolo, Véronèse, Raphaël, Michel-Ange, de Vinci, Catherine de Sienne, Saint-François d’Assise... — sont toujours présentes au côté de Fellini, de Mastroianni, de Pasolini, de Goldoni… et de ceux qui, bien qu’étrangers, on reconnut à un moment de leur vie ce pays comme le leur — Proust, Ezra Pound, Keats, Joachim du Bellay, Montesquieu, mais encore Philippe Sollers, Jean d’Ormesson, Michel Déon, George Sand, William Turner, Chateaubriand, Thomas Mann, Hemingway, André Suarès…

 

Un vertige !

 

Je cours vers l’Italie comme Juliette à son balcon et ce n’est pas une image de dire combien mon cœur y bat bien plus fort qu’ailleurs, et se rappelle qu’il existe.

 

Tout le livre est une confirmation lumineuse de cette phrase d’ouverture. Il y a indéniablement ce bonheur joyeux et léger, cette sprezzatura tout italienne, ces plaisirs simples que l’on tire des plus grandes émotions qui infusent chaque page du livre de Christiane Rancé quand elle court vers celle que Henry James appelait la bienheureuse péninsule.

 

L’Italie est, à l’image des Italiens, la générosité même, et un émerveillement qui jamais ne semble pouvoir s’épuiser.

 

Commencé à Toulouse, ma ville aimée, et son air de belle Italienne avec ses palais Renaissance, ses terrasses sur les toits, ses cours intérieures avec balcons en encorbellement, son bel canto, ses briques qui rosissent au soleil d’or de ses ciels d’azur, Bella Italia est aussi un voyage intérieur vers une réconciliation avec soi-même, vers un apaisement loin de l’agitation vaine.

Un répit.

 

Tout au long, des bancs, subtilement disposés pour que le promeneur jouisse, à travers les branches, d’entrevisions sur la mer. Ils sont redoutables pour le marcheur qui s’y attarde un peu trop, pris par ses pensées, absorbé par le plaisir d’être simplement là, posé, sans autre projet que de respirer et d’habiter pleinement les secondes qui passent.

 

Il ne se trouvera personne, je crois, pour contredire Eugenio Montale, enfant du pays, poète et prix Nobel de littérature 1975 : Ici, les passions du plaisir apaisent miraculeusement les conflits.

 

Glissez ce livre épatant dans la valise et allez toute affaire cessante vers l'Italie, comme vous iriez à un rendez-vous amoureux.

 

Je remercie Babelio et les Éditions Tallandier pour cet envoi et leur confiance.


꧁ Illustration ©Victor Martin ꧂


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