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Les Naufragées, Manon Hentry-Pacaud, Frison-Roche Belles-Lettres

 

 

 

Les Naufragées

Manon Hentry-Pacaud

Frison-Roche Belles-Lettres

133 pages

17/05/2022

19 €

Premier roman

 

Sororité : le mot dort sous terre, on le croit mort, il va se réveiller.

Chloé Delaume, Sororisation générale

Il faut sans cesse jouer à l'acrobate, passer d'un rôle à l'autre, correspondre à ce qui a été prévu pour nous, attendu de nous puis osciller vers ce qu'on voudrait être. Jongler entre deux visages, deux figures, parce qu'on est toujours plus qu'un simple corps.

 

Le corps féminin est l’une des grandes affaires du premier roman de Manon Hentry-Pacaud. Les Naufragées : quatre portraits de femmes juxtaposés à quatre moments de la vie pour aborder quatre thèmes. Un roman choral sans l’être tout à fait donc, exclusivement féminin, puisque le mari de Louise est congédié abruptement dès les premières pages, lui qui pensait peut-être pouvoir profiter de son dimanche chez lui. Merci, Louise !

 

Louise est Le Fantôme du premier portrait : elle est la fille de Paula et la mère d’Anne. Entre deux âges donc. Elle souhaite inaugurer la tradition d’un repas qui les réunirait toutes les trois chaque dimanche. On la découvre s’affairant en cuisine, soucieuse d’éviter la fausse note, anxieuse des réactions à venir. Le plat mijote et elle dresse la table avec soin non sans prendre le temps de parcourir des albums photos, de la paperasserie gardée comme on garde une trace pour s’assurer que cela a existé. 

 

Face à toutes ces preuves de vie, ce matérialisme opulent que Louise a elle-même muséifié, elle comprend que ce voyage dans les années écoulées la confronte aussi à tout ce qui n’a pas bougé, ce qui n’a jamais été dépassé.

 

Paula est La Comédienne du deuxième portait. Une femme vieillissante qui accepte mal ce corps qui la trompe, qui a chaque jour qui passe de plus en plus de mal à se conformer aux diktats esthétiques imposés par la société, alors qu’elle en a toujours pris et continue d’en prendre le plus grand soin, alors qu’elle se perd dans les miroirs à force de s’y scruter. Paula se prépare pour se rendre chez Louise et elle se demande si, après tout, il ne serait pas temps d’enfin s’écouter, de cesser de s’enfermer dans un rôle voulu par la société mais qui ne lui correspond plus.

 

Quand a-t-elle commencé à être vieille, à se voir définie comme telle dans son regard et dans celui des autres ? Elle l’ignore. Elle ne sait pas quand elle a commencé à sentir son corps, sa peau, lui échapper, mais elle est âgée, maintenant, une vieille femme, une grand-mère. Elle a atteint le stade fatidique, reçu l’étiquette qu’elle arborera sur la poitrine pour le restant de ses jours. Et Paula n’arrive pas, plus, à savoir si cela lui déplaît ou si elle se trouve enfin aux frontières d’une apogée à laquelle elle a toujours aspiré.

 

Ines est La Disparue du troisième portrait. L’amie d’Anne. Anne, sa presque sœur, son inséparable, celle capable de lui faire traverser n’importe quelle épreuve. Anne, vers laquelle elle se hâte en ce jour, comprendra-t-elle ? Aura-t-elle les réponses aux questions qui tournent jusqu’au vertige dans sa tête depuis qu’elle a pris la décision qui continuera à la hanter chaque jour de sa vie ?

 

Quelque chose en elle n’existe plus, est parti, elle l’a évacué, tué, fait disparaître. Elle-même se sent presque écrasée, occultée, par des jugements implicites. Elle s’évapore, devient un peu plus évanescente, coincée entre deux horizons, entre plusieurs points de vue parmi lesquels elle ne se retrouve plus.

 

Anne est L’Acrobate, en équilibre entre sa grand-mère, sa mère et son amie. Anne qui prend appui sur le passé pour se projeter vers l’avenir. Anne, animée d’une farouche volonté, Anne qui 

 

voudrait… […] voudrait…

 

Anne voudrait tant de choses. Anne voudrait révolutionner tout ce qu’il y a encore à révolutionner. Ne pas tenir ces discours que pour elle-même. Que chacun en prenne acte et conscience. Que les choses bougent et arrêtent de stagner.

 

Anne voudrait participer au changement. Anne voudrait faire partie d’une génération libératrice ? Anne voudrait que toutes les femmes d’avant ne se disent pas qu’elles ont travaillé et se sont battues en vain.

 

Ancrage/ancré sont des mots-petits cailloux que sème Manon Hentry-Pacaud à intervalle régulier dans ce roman sur le temps qui passe, sur les traces qu’il laisse, celles qu’il efface, celles qu’on souhaite oublier, celles qu’on voudrait creuser plus profondément. Sur les hésitations qui nous constituent et nous définissent souvent mieux que les certitudes.

 

Et alors ? 

Quoi de neuf ?

 

À la lecture de ce billet aussi plat que la conversation de Charles, elle-même aussi plate qu’un trottoir de rue❞ (l'ami Flaubert), vous vous dites que j’ai dû passablement m'ennuyer, et vous avez raison. L’écriture est simpliste, monocorde, lancinante car gangrénée de répétitions ; la litanie des prénoms (écueil difficile à contourner quand le choix a été de dédier un chapitre à chacune de ces femmes, j’en conviens) est pénible. La syntaxe se résume à de courtes phrases juxtaposées, analytiques qui, pour moi, ont été un frein à l’émotion et à l’empathie. Où que se pose l’œil ce ne sont que faiblesses, doutes, le marasme de la vie qui passe, un futur qu’on peine à imaginer et, pour dire le vrai, je n’en peux plus des personnages qui ne savent que geindre de leur condition et qu’à l’opposé de l’objectif recherché, on enferme dans une caricature d'eux-mêmes, impression renforcée ici par le choix de l’autrice de coller à ces femmes une étiquette — Fantôme, Comédienne, Disparue, Acrobate.

Ce genre de roman au XXIe siècle est dépassé, me semble-t-il. J’aurais aimé lire autre chose que des clichés, je crois que les femmes valent mieux, méritent mieux.

 

Et que dire de l’absence de correction éditoriale qui m'a cueillie dès les deux premières pages, manquant me faire lâcher le livre ?

Première phrase :

 

Louise appuie sur la tranche du vieux livre de cuisine que sa mère lui a transmis il y a quelques années […] pour craqueler la reliure déjà fragilisée et la maintenir en place.

 

Il ne s’agit pas de la tranche du livre, mais de son dos.

 

Deuxième page :

 

La simplicité prône sur tout le reste. 

 

Prôner sur ? Vraiment ? Primer, peut-être...

 

Il m’a coûté d’aller au terme de cette lecture dont, au surplus, je n’ai toujours pas compris le titre.


꧁ Illustration ⩫ Les Âges de la femme, chromolithographie 1900, Fridolin Leiber Imprimeur ꧂


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