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Saint Jacques, Bénédicte Belpois, Gallimard

 

 

 

 

Saint Jacques

Bénédicte Belpois

Éditions Gallimard

160 pages

08/04/2021

14 €

 

❝Mêmes les rencontres de hasard sont dues à des liens noués dans des vies antérieures. […] Même pour des choses insignifiantes, le hasard n'existe pas.❞

Haruki Murakami, Kafka sur le rivage

❝On ne perçoit pas consciemment comment certaines personnes vous manquent avant de les connaître, on devine juste, une fois qu’on les a rencontrées, qu’on ne pourra plus jamais vivre sans elles.❞

 

Qu’écrit-on après Suiza, premier roman âpre dont les phrases s'en allaient cogner au creux de l'estomac et dont l’écriture rugueuse se mettait tout entière au service de la passion animale de Tomàs pour Suiza ? Suiza m’avait sonnée, Suiza ou l’exact contraire de la complaisance à laquelle Saint Jacques se laisse aller parfois, sans s'y abandonner tout à fait. 

 

❝Si j’avais su à ce moment-là, Jacques, que c’était toi, au fond, qui m’attendais là-haut, j’y serais montée le soir même dans cette montagne lointaine, pour gagner un peu de temps, puisque chaque minute nous était comptée. Je t’en prie, mon amour, ouvre les yeux, parle-moi, ne me laisse pas avec la pendule d’argent, celle de l’autre Jacques, qui ronronne au salon et qui nous attend.❞

 

Paloma, infirmière à Paris et maman d’une Pimpon adolescente, est venue à Sète pour enterrer sa mère qu’elle n’appelait jamais autrement que Camille. La relation entre les deux femmes était pire qu'épouvantable, confite dans les non-dits et recuite d’aigreurs depuis toujours. Quelle stupéfaction donc d'apprendre du notaire que sa mère lui a légué un cahier et une maison nichée au cœur des Cévennes, dont elle ignorait l’existence. La curiosité mêlée à la perspective d’enfin obtenir les réponses que Camille lui a toujours refusées quant à l’identité de son père jettent Paloma sur la route. Là-bas l’attend une typique bâtisse cévenole dont le délabrement et les lacis du lierre peinent à dissimuler la grandeur altière de la façade de schiste percée d’étroites fenêtres .

 

❝Énorme. Une colossale bâtisse de schiste. Un amoncellement parfaitement régulier de pierres rongées de lierre qui escaladait toutes les faces livrées à l’abandon. Des fenêtres hautes et étroites, des volets en bois gris d’hiver, de pluie et de vent, avec pour seule ouverture un losange bien taillé, qui devait laisser passer un rai de lumière à l’intérieur. Un toit de lauze qu’on percevait à peine du fait de sa faible pente.❞

 

Cette rencontre, Paloma le sait déjà, est sur le point de changer le cours de sa vie. 

 

Dans la famille de Paloma, les femmes (se) parlent peu. Elles écrivent. Le récit prend dès le début la forme d’une lettre que Paloma écrit à Jacques - le Saint Jacques du titre que l’on ne rencontrera qu'à la moitié du roman -, entrecoupée d’extraits du cahier de Camille. Cette mise en miroir du cahier de la fille avec celui de la mère est d’ailleurs tout à fait bien vue pour mettre en perspective l’évolution de leur relation d’une part et de leur vie respective d’autre part. Avec une louable lucidité affleurant sous la cruauté de sa franchise, cette mère manquée confie son enfance, son éphémère relation avec un homme étranger plus âgé, le déni de sa grossesse, l'incapacité à s’occuper de sa fille née d’un néant d’amour, 

 

❝Je ne t’ai jamais aimée [...] Tu es ma peine capitale.❞

 

avant de mettre en garde contre la malédiction familiale, avec une fièvre shakespearienne :

 

❝Bien plus qu’une maison, je te lègue le lourd héritage des gènes des femmes malheureuses, abîmées, abandonnées. Crains qu’ils ne s’expriment et tremble de me ressembler.

[...]

On ne se moque pas impunément du script familial. Les femmes de notre lignée naissent pour cultiver le malheur, pour perdre les hommes qu'elles aiment.❞

 

Et si Camille disait vrai ? 

 

Paloma quitte Paris et son travail pour s’installer dans cette maison ouverte à tous vents qu'il faut retaper malgré le manque d'argent, et qui devient le lieu de rencontre et le point de ralliement d’une petite société de personnages complices et pétris d’humanité que Bénédicte Belpois traite en clair-obscur pour laisser deviner leurs fêlures, pour creuser leurs silences,

 

❝Ce silence, c'était celui des gens de la terre où l'on sent bien mieux qu'on ne parle.❞

 

et - qui sait ? - fendre leurs secrets. Ainsi, Paloma fait-elle la connaissance de Jacques T. entrepreneur à Alès, de sa voisine Rose, frêle sarment courbé par les ans, de Philippe médecin au village, de Jo la Glu apprenti couvreur. Tous cachent une plaie mal cicatrisée et dans un bel élan altruiste, se mettent à restaurer la maison et leur cœur dans cette histoire dont le cheminement et la trame souterraine que je vous laisse découvrir, bien que traités avec un indiscutable souci d’authenticité, n’évitent pas les clichés. Ce roman élégant sur les vicissitudes de l’amour quel qu'il soit et des amitiés intergénérationnelles, sur la solitude du grand âge et la solidarité en territoire rural est hélas sans originalité.

 

Reste l'immense qualité de l'écriture de Bénédicte Belpois dont la poésie simple et sereine sublime l’instant quand elle évoque la beauté brute du paysage cévenol

 

❝J’aimais regarder les Cévennes rosir à peu à peu, leur écume de châtaigner mousser d’un vert encore tendre. Mon cœur dévalait jusqu’au Gardon, coulant paresseusement, serpent de vie dans un lit de rocailles blanchâtres et hostiles. […] Je remontais ensuite par les sentiers à la pente âpre qui vous coupe le souffle.❞

 

et la rudesse de son climat

 

❝Il régnait ce matin-là, comme à l'accoutumée, ce mélange délicat d'opposés climatiques qui caractérisent la région. Cette douceur maritime régulièrement assassinée d'une lame de froid montagnard, dès que les rayons du soleil disparaissent derrière le mur contre lequel vous marchez.❞

 

Le roman se referme sur le rai d'espoir ténu que l'on avait vu filtrer au début et qui, à défaut de surprendre, fera, on l'espère, mentir la prédiction de Camille.

 

Saint Jacques est un 2e roman doux-amer, fait pour ralentir ; et ce n'est pas si mal, n'est-ce pas ? Enveloppé d'une respectable bienveillance, il souffre tout de même de la comparaison - inévitable - avec Suiza, dont la rare et flamboyante densité m'a laissé un souvenir lancinant.


꧁ Arrière-plan, Parc national des Cévennes ©David Martyn Hughes ꧂


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