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Qu'importe le chemin, Martine Magnin, Fauves Éditions

 

 

 

Qu'importe le chemin

Martine Magnin

Fauves Éditions

 224 pages

02/10/2020

19 €  

1re édition L'Astre Bleu Éditions (06/10/2016)

« Une petite graine, puis une autre petite graine... si la terre est bonne et si on l'arrose ! On récolte toujours ce que l'on S'AIME. »

Martine Magnin fait partie comme moi de l’aventure des 68 premières fois, mais je confesse que je n’avais jamais pris le temps de la lire jusqu’à ce que Marika Daures me contacte pour me demander si je pouvais écrire une chronique sur l’un des auteurs dont elle s’occupe. En voyant dans la liste le roman de Martine, mon choix s’est fait de lui-même.

 

Qu’importe le chemin, initialement publié aux éditions L'astre Bleu à l’automne 2016, vient de reparaître aux éditions Fauves. Ce livre de Martine Magnin n’est pas un roman, mais un récit de vie, sur plusieurs décennies, doublé du témoignage d'une mère qui doit faire face à la maladie de son fils, Alex, 8 ans, terrassé par une crise d’épilepsie au retour de vacances passées en Afrique avec son père, Paul, dont Martine est en train de divorcer.

 

« Ces deux noms accolés, cette coexistence inconfortable « Enfants » et « malades », est déjà un malaise en soi, une contradiction gênante, une regrettable antinomie. C’est un contresens, une incohérence, un oxymore, car les enfants ne devraient pas être malades, les autres oui, les adultes, les vieillards, éventuellement, peut-être, s’il le faut vraiment. Mais eux non, surtout pas. Ils doivent être toujours heureux, souriants, actifs, confiants, en progrès, en devenir, intacts et protégés dans leur statut d’enfant. »

 

Alex est épileptique, va devoir suivre un traitement à vie, lourd, et tout à coup, c’est tout un univers familial, bien sûr, mais aussi professionnel et amical qui se trouve sens dessus dessous. 

Familial comme une évidence, car les séjours d’Alex à l’hôpital mobilisent Martine qui reste soucieuse d’être une maman présente pour sa petite Lola, 2 ans et demi. 

Professionnel, car l’Atelier Maison qui sent bon le tissu, le fil, les gâteaux et le thé, que Martine a fondé avec Ève et Coline en est à ses balbutiements et ses absences répétées risquent de le fragiliser.

Amical enfin, car les amies vont être une digue solide pour repousser les déferlantes, aider au quotidien, écouter, panser. Présences douces, tantôt là quand nécessaire, tantôt discrètes et sachant se faire oublier.

 

« Par un réflexe pragmatique immédiat, je déléguai provisoirement ma responsabilité de mère de Lola à mon amie Coline pour pouvoir me consacrer entièrement à celle de mère d'Alexandre. »

 

Martine questionne avec humilité : que faire quand votre propre vie vous échappe ? Et y répond de même :

 

« On tâtonne, on s'égare, on ne reconnaît plus rien. On ne reconnaît plus sa propre vie. »

 

Comme nous tous, elle est imparfaite, Martine, mais elle, elle ose le dire, sans grands effets, sobrement, même si la fureur, contenue, menace sous les mots les plus délicats. Et son récit n’en est que plus juste et poignant. Elle se demande comment faire face à l’agressivité d’Alexandre qui sourd, la violence qui enfle, les demandes d’argent qui pressent pour un embarquement immédiat pour les paradis artificiels.

 

« Sans bruit, sans qu’on s’en aperçoive, la bête tapie perfidement dans l’ombre était revenue une nouvelle fois, sournoisement et avidement, pour enjôler à nouveau Alexandre. Sans cœur et sans moralité, la machinerie honteuse des dealers avait repris son action de séduction et de corruption. L’argent se volatilisait, les appareils photos disparaissaient, les travaux photo prenaient du retard, le matériel d’agrandissement inutilisé fut remisé au fond d’un placard. Toujours naïfs et bêtement optimistes, on n’y vit que du feu, aucun signal d’alarme ne nous parvint, notre intuition de parents était débranchée. »

 

Le découragement pointe souvent face aux combats à mener, toujours à recommencer pour ne pas sombrer, mais jamais la renonciation ne fait son lit dans cette terre qui « s’effondre et devient folle », pour reprendre les titres des deux premiers chapitres de ce livre bouleversant. Comment ne pas perdre pied quand le sol se dérobe ?

Reste les amies sincères vers qui se tourner quand l’envie d’envoyer tout balader devient trop impérieuse.

 

« Je venais auprès de Coline, la combattante, pour recharger mes capacités de résistance. »

 

Reste aussi, comme autant d’éclats de lumière, l’humour, cette politesse du désespoir, à moins qu’il n’en soit la bouée. J’ai souri à l’inventivité de Martine pour continuer à tisser le fil avec ce fils (ah ! le brunch punk ! « [ce] rituel répété, un espace-temps d'acceptation partagé et protégé en dehors de tout, la force d'une paix rare et précieuse pour contrer toutes les mauvaises ondes et adoucir les galères qu'ils rencontraient dans leur vie de tous les jours »), je me suis amusée des inventaires à la Prévert qu’elle dresse pour rendre compte, avec économie et sourire, du temps qui poursuit sa course, oublieux des aléas de nos vies. 

 

Si ce récit est celui d’un combat, il est aussi l’histoire d’un deuil, celui de l’enfant « fabriqué un jour de joie parfaite […] tout doux et tout joli dans ses brassières en liberty » qui devient un étranger tout en restant une part d’elle-même, qu’elle craint de ne plus pouvoir aimer parce qu’il ne serait plus aimable. 

 

« […] en vérité, je ne savais même plus ce que je ressentais et si je n’avais pas déjà basculé vers le versant négatif de l’affection. »

 

C’est aussi un au revoir - un adieu serait trop définitif - à l’insouciance, à ces jours d’avant où elle pensait respirer mieux :

 

« Il s'agissait brutalement de faire le deuil de l'insouciance, de basculer de la légèreté vers la gravité, de l'optimisme vers l'angoisse. Aucun autre choix ne s'offrait à nous. Un étau serrait ma poitrine, l'air venait à manquer. »

 

Ce récit dur, sans concession ni pathos, je ne peux cependant pas me résoudre à le trouver tragique, tant il est lumineux et porteur d’espoir : l’amitié indéfectible des trois amies, leur soutien sans faille, la petite Lola « un amour de petite fille, jolie à croquer et à câliner » devenue mère à son tour et le monde médical humain à défaut d’être capable de donner la clef pour faire sauter les cadenas.

 

Le dernier chapitre porte le beau titre des fruits de la terre, c’est dire ! Le ciel dessine toujours un coin de ciel bleu quand les pires moments sont passés et les amarres qui ont résisté (famille, ex-mari, amis, amant) n’en ressortent que plus fortes. Un moment pour la tempête, un autre pour l’accalmie. Puisse-t-elle durer.

 

Le récit de Martine m’a remis en tête une phrase lue il y a quelque temps chez Véronique Olmi : 

 

« C'est étrange comme il suffit d'un rien pour qu'une vie se désaccorde, elle aussi, que notre existence, tellement unique, si précieuse, perde son harmonie et sa valeur. Comme si elle était faite d'air, et rien que de cela. »

 

Long est le chemin vers le renouveau et, aux côtés de Martine, il se fait avec courage, dans la dignité.


꧁ Arrière-plan - Nicolas de Staël, La Route d'Uzès, 1954 ꧂


Commentaires: 1
  • #1

    martine magnin (vendredi, 06 novembre 2020 18:41)

    Merci pour cette chronique appliquée et sensible, Merci d'avoir suivi mon chemin, heureusement, on récolte toujours ce que l'on s'aime