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En moins bien, Arnaud Le Guilcher, Pocket

 

 

 

En moins bien

Arnaud Le Guilcher

Pocket

277 pages

05/05/2011

6,95 €

1re édition Stéphane Million, 08/10/2009

Premier roman

 

« Il est permis d'espérer qu'il se passera bientôt quelque chose de plus passionnant. Ce serait bien. »

 Cahier d'un retour de Troie, Richard Brautigan

 « Emma. Un pélican à la con. Une station balnéaire aux États-Unis. Un Allemand qui tourne. Une tribu de hippies crados. Le moral dans les bottes. Une dune qui chante. Cassavetes, Kurosawa et Huey Lewis. Un pressing. Un verre de trop. Une équipe TV. Puis une autre. Richard. Love in Vain. Un requin et un marteau. Un coup de feu. Du sang sur le sable. Une Chevrolet Impala. Le bruit des vagues. L'amour à trois. L'amour tout seul. Une lettre d'amour. La vie qui continue. En moins bien. »

 

Pas facile d’entrer dans un livre dont la 4e de couv’ (ci-dessus) est aussi affriolante qu’une liste de poncifs pour intrigue à deux balles. Encore que Cassavetes et Kurosawa…

Il faut dire que l’histoire n'est pas de première fraîcheur : le narrateur, trentenaire, qui n'a pas vraiment le physique d'un dieu grec,

 

« Le jour de la giclée fatidique, [mon père] a dû penser à une vieille tante moustachue, et pan, un spermatozoïde blindé de gènes de thon a conquis le saint Graal. Bilan des courses : ma gueule. Merci du cadeau. »

 

convole avec la sublime Emma. Avec quelques bucks en poche pour leur voyage de noces, ils montent à bord d'un Greyhound, direction le Pacifique, hors saison, et Sandpiper, un club de vacances miteux qu’ont avantageusement maquillé quelques attrape-nigauds publicitaires. Le lendemain matin, Emma s’est fait la malle et a vidé leur bungalow baptisé… Bernique ! Merci les augures ! 

Une petite vingtaine de pages et voilà notre bonhomme (on ne va quand même pas parler de héros) déjà bien largué (dans tous les sens du terme).

 

« Dans le manuel du jeune marié, en préambule, il est écrit "on ne plante pas l’élue, la nuit de noces, sous prétexte de pingouins et de bibines".

J’aurais pas dû le lire en diagonale… »

 

Tel est le point de départ d'En moins bien, 1er roman d'Arnaud Le Guilcher complètement dingue (le roman, pas l'auteur. Quoique.) où se côtoient JFK un pélican qui se prend de passion pour les talons ; un Allemand qui tourne en rond sur une dune depuis que « Friiiida » son épouse est partie vers un spot plus glassy avec « un surfeur taillé dans une pub Quiksilver » en lui abandonnant Requin et Marteau leurs enfants ; des curieux qui débarquent par cars entiers pour voir l'attraction teutonne creuser son sillon dans le sable ; Rebecca journaliste aux dents raclant le même sable qui a flairé le scoop du siècle ; des potes, Richard, Moïse, Charcot, Henry… qui ont le gosier en pente raide... très raide : une improbable collection de paumés, de fêlés de la vie pour lesquels nous vient d’emblée une bouffée de tendresse malgré l'extravagance toujours plus poussée de situations toujours plus absurdes.

 

Avec toutes ces vies amochées qui se carambolent dans cet endroit minable, avouez qu’il y aurait de quoi alimenter une histoire poisseuse de désespoir. Or, la prouesse d’Arnaud Le Guilcher est de nous offrir un récit touchant. Sous ses airs débraillés d'histoire écrite à la va-comme-je-te-parle, En moins bien raconte l'horizon qui soudainement s'effondre à cause de l'abîme que creuse l'absence, 

 

« Souvent dans les ruptures, c'est pas le souvenir de ce qu'on a fait ensemble qui fait mal, mais la somme de projets qu'on ne réalisera pas en commun. »

 

l’amitié, les désillusions, les blessures, 

 

« Je marque à mort. On me touche, j'ai un hématome. Je me cogne et vlan, un bleu. Dans le cœur c'est pareil, je marque à mort. Un cœur brisé plein de bleus, c'est mon cœur à moi. »

 

la vie, la mort, celle qui vient, celle qu'on se donne,

 

« —    Pour savoir. Tu crois qu'il y a une vie après la mort, toi ?

   —    Je suis pas tellement persuadé qu'il y en ait une avant... »

 

Le rire doux-amer n’est jamais loin pour endiguer les humeurs noires et les vapeurs de l’alcool qui coule à flots n’embuent pas la sincérité des sentiments.

 

« J’étais en train de perdre pied tout en courant partout. On a jamais inventé mieux pour se casser la gueule. »

 

Le style halluciné, les mots crus, la grammaire... quelle grammaire ?, les métaphores saugrenues ne font pas oublier que derrière cette façade rigolarde essaient de battre des cœurs en mille morceaux, illustrations de l'aphorisme de Chris Marker : « L'humour : la politesse du désespoir. »

 

Hélas, l’inventivité de l’écriture ne suffit pas à maintenir l’intérêt de la lecture tout au long des 270 pages d’une histoire qui, dans son dernier tiers, s’ensable à force de faire du surplace et m’a mis en tête cette réplique de Bernard Blier « On tourne en rond, merde, on tourne en rond, merde, on tourne en rond, merde, on tourne en rond, merde. »  (Le Grand Blond avec une chaussure noire, Yves Robert).

 

Il reste qu'avec En moins bien, Arnaud Le Guilcher signe un roman désabusé et cocasse, d’une émouvante générosité pour les losers de tous poils. Et puis, un auteur qui lorgne sans complexes du côté d'auteurs américains que j'affectionne, et cite Brautigan (Love Poem)

 

It's so nice

to wake up in the morning

all alone

and not to tell somebody

you love them

when you don't love them

any more.

 

moi je dis : « Pas mieux»

 

Ce roman est le choix de Gaëlle Pingault pour cette sélection anniversaire 5 ans des #68premieresfois.


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