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Ceux que je suis, Olivier Dorchamps, Finitude

 

 

 

Ceux que je suis

Olivier Dorchamps

Finitude

256 pages

22/08/2019

18,50 €

Premier roman

Nous ne sommes faits que de ceux que nous aimons et de rien d'autre. 

Christian Bobin, L'inespérée

  « La seule certitude que j’ai, c’est que je suis le fils de mon père.

Et c’est la seule qui compte, me rassure Kabic. Tes frères et toi savez d’où vous venez. Ne te pose jamais la question Marwan, tu n’as pas le droit. Ce serait une insulte à la mémoire de ton père, de ton grand-père et de Mi Lalla qui ont tout fait pour que tu aies des ancêtres. »

 

Ceux que je suis, premier roman d’Olivier Dorchamps, est le récit intime et personnel d’une famille d’origine marocaine venue s’établir à Clichy, en région parisienne. Une famille comme tant d’autres que « les aléas du XXe siècle ont déracinée et replantée de l’autre côté de la Méditerranée. »

 

La mère a été naturalisée. Les enfants, trois garçons d’une presque trentaine d’années aujourd’hui, sont nés en France. Le père, propriétaire d’un garage rue de Paris, a gardé sa nationalité. 

 

« Mon père ne s’était jamais fait naturaliser. Il disait qu’à la douane, que ce soit à Paris ou à Casa, il serait toujours un Marocain en exil, jamais un Français en vacances, alors à quoi bon ? »

 

Quand le père décède prématurément à 54 ans, la famille Mansouri découvre ses dernières volontés : être enterré en terre marocaine, à Casablanca.

 

Pour les jumeaux Marwan (professeur agrégé d’Histoire-Géo) et Ali (avocat), pour leur frère Foued (brillant étudiant), « dénués de toute fibre patriotique, envers le Maroc comme envers la France d'ailleurs ; paradoxe d'une intégration réussie sans doute », c’est l’incompréhension. Par contre pour leur mère, nulle surprise : « On vit ici, on meurt chez nous. »

 

Vient donc le moment de faire le chemin à rebours, non plus celui de l’exil, du déracinement, mais bien celui du retour à sa terre, de l’enracinement. Marwan, l’aîné de quelques secondes, accompagnera le cercueil en avion avec Kabic, vieux sage, ami de leur grand-père, alors que le reste de la famille prendra la route. 

 

« Maintenant que mon père est mort, lui qui voulait tellement nous parler de son pays, j’ai un regret immense de ne jamais l’avoir laissé, parce qu’au fond, en voulant nous faire aimer le Maroc, il voulait surtout que nous l’aimions lui, et que nous sachions qu’il nous aimait. »

 

Entre la France et le Maroc, il n’y a pas qu’une mer, une frontière. Il y a aussi un monde, des barrières, à commencer par celle de la langue, celle des usages, mais aussi celle des secrets et de leurs silences.

 

« Comme souvent avec les secrets, ça a commencé par un incident effroyable, bien que banal pour l’époque. Et comme souvent avec les secrets, on l’a enveloppé dans plusieurs couches de honte, et des vies entières, jusqu’à la mienne, en ont été tapissées. »

 

C’est un retour au pays, à cette terre étrangère, en même temps qu’une remontée vers la source d’une histoire familiale tue, sur trois générations. Revenir au temps où le père était un fils, où Mi Lalla, petite fille berbère, courait dans le Moyen Atlas avant que ne se produise l’inavouable qui laissera sa trace indélébile.

 

« — Il y a des secrets qui doivent reposer avec les morts.

— Des secrets ? Mais quels secrets ?

— Laisse le temps les emporter, Marwan.

— Tu veux dire que mes frères et moi ne saurons jamais ? Quand tu m’as demandé tout à l’heure, je t’ai dit que j’étais de la génération qui a besoin de vérité. Pas de celle qui hérite des secrets ! »

 

Pour Marwan, opportunément professeur d’histoire, voici venu le moment de devenir le dépositaire de celle de sa famille et d’enfin réfléchir aux questions essentielles : qu’hérite-t-on de son père ? Peut-on accepter, comme Kabic le suggère, d’être « l’enfant de deux pays » ? Que transmet-on à défaut d’une langue ? « les gestes, les rires, les couleurs et les saveurs de son pays » ? Qui sont ceux que je suis ? 

 

J’aime ce que la langue française peut avoir ici d’équivoque : suis ; l’hésitation, l’oscillation entre être et suivre et, entre les deux, pourquoi devrait-on choisir ?

 

« Il y a deux sortes de souvenirs Marwan, ceux que l’on a de quelqu’un et ceux que l’on a avec quelqu’un. Les plus importants sont les deuxièmes. »

 

Ceux que je suis aborde des thèmes qui ne sont guère inédits en littérature : le deuil, les racines familiales, la quête d’identité, l’incertain rapprochement de deux cultures pour les fondre en une seule que l’on a tôt fait de qualifier abusivement de double

Ce voyage par-delà la Méditerranée est beau, porté par une écriture douce, pudique, émouvante, tendre, pleine d’une humanité et d’un humour qui excluent toute mièvrerie. 

 

« Grandir, c'est perdre des morceaux de soi. »

 

Quelle que soit notre origine, n’est-ce pas le cas ?

 

Une très belle moisson de prix pour ce roman : Talent Cultura ; Prix du premier roman de la Ville de Paris ; Prix [du Métro] Goncourt ; Prix Esprit large ; Prix de Gaulle ; Prix Lire Elire ; Prix des lecteurs de Chennevières sur Marne ; Prix Un Livre Une Commune ; Prix Cluny Lectures ; Prix Livres en boîte ;  Prix littéraire des lycéens et apprentis d’Ile-de-France ; Prix littéraire des lycéens et apprentis d’Auvergne-Rhône-Alpes ; Prix littéraire Région Sud ; Prix des lecteurs de Villejuif.


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