
US
Arno Brignon
Éditions Lamaindonne
134 pages
15/01/ 2024
22 €
❝Un road trip symbolique pour parler de cette société au parfum post-démocratique, à ce moment où populisme et technocratie semblent s’affronter un peu partout en Occident. Regarder ce pays, né des colons venus d’Europe qui en ont chassé les autochtones, c’est nous regarder aussi, tant nos liens sont forts, et tant nos états sont unis pour le pire et le meilleur. Dans cette route il y a forcément aussi un peu d’une obédience à Robert Frank, Jack London, ou Wim Wenders, mais au-delà de l’initiatique il y a une volonté de raconter ce pays avec le prisme des réminiscences de mon histoire personnelle, la question de l’absence en suspens.❞
Le livre d’Arno Brignon a été publié à l’occasion de l’exposition US présentée à la Galerie Le Château d’Eau de Toulouse, du 25 janvier au 14 avril 2024. Après Toulouse, l’exposition voyage en France. Elle est actuellement et jusqu’au 15 janvier à la galerie Le Carré d’art de Chartres-de-Bretagne.
US — United States — Nous
US raconte le road trip qu’Arno Brignon débuta à l’été 2018 en famille, avec Caroline sa compagne et Joséphine leur fille. L’idée du photographe était de relier les villes américaines, homonymes de capitales européennes, vestiges des colons à avoir traversé l’Atlantique pour s’y installer. Le souhait du père de famille était, lui, de ne pas laisser cette fois-ci encore Caroline et Joséphine à l’arrière, mais de faire de leur présence à ses côtés un amer au moment de traverser ensemble vers l’inconnu : Us — Nous.
❝De ces jours enfin passés en famille, un possible se précise. Je n’ai plus envie de partir en exploration sans les filles, j’ai envie de vacances, d’être ensemble. Amour et photographies pourraient-ils enfin former un couple ? […] En partant en famille, j’ai quitté ma mue. Ma posture de photographe voyageur est la chrysalide que je laisserai en ces lieux. J’ai grandi d’avoir été ensemble. Des pas de côté nécessaires. Sans translation, je suis perdu. Sans Caroline et Joséphine, je n’aurais pas su m’affranchir des coutumes et topiques qui entourent ce pays trop familier. Elles m’ont évité une répétition sans âme, tel Sisyphe.❞
Trois voyages et quatre ans plus tard, à l’automne 2022, Arno Brignon ramène de Lisbon (Maine), de Berlin (New Hampshire), de Copenhagen et Amsterdam (New York), de London et Dublin (Ohio), de Luxemburg et Brussels (Wisconsin), de Rome et Athens (Géorgie), de Paris (Texas), de Madrid (Nouveau-Mexique), des photos prises avec des appareils argentiques de deuxième voire troisième main, et des pellicules vieilles de plus de 40 ans, qui racontent l’Amérique du vide géographique, une trajectoire la plupart de temps à l’écart des grandes villes d’un pays déroutant que l’on croit pourtant connaître à travers les poncifs attendus et les clichés familiers qui ont la vie dure.
Au moment du tirage, il lui faut accepter de s’en remettre à l’aléatoire tant il est impossible de savoir comment les couleurs ont été altérées et le grain, affecté par l’évolution des composants chimiques — une pellicule ayant une durée de vie d’environ 10 ans. La part d’inconnu fait partie du jeu/je.
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En noir et blanc ou en couleurs étranges et sensuelles, du bleu gris et de l’orangé verdâtre pour l’essentiel, le résultat parfois tremblant des photographies d’Arno Brignon rappelle les tirages Fresson ou les flous de Sarah Moon et Dolores Marat que personnellement je trouve souvent plus beaux que le réel parce qu’ils révèlent un territoire au bord de l’évanouissement où se brouillent les frontières entre le passé et le présent, le réel et le conte, la présence et l’absence. Les photographies d’Arno Brignon en provoquant la distance au réel offrent un détour par un imaginaire un peu magique et interrogent ce qu’il subsiste de la mémoire parce que, n’en déplaise à Léo Ferré, avec le temps tout ne s’en va pas. La photographie a cette faculté d’arrêter le temps, de fixer un moment, d’en garder à jamais une trace.
❝Copenhagen, État de New York · 1er août 2018
Avant de rentrer au camping, j’ai pour mission de passer à Watertown, la grosse ville du coin, pour effectuer le réapprovisionnement familial. À la sortir du village, je dépasse une maison effondrée sur elle-même, je pense au Magicien d’Oz. Quelques minutes de suspension, ou de rêve… La maison est déjà loin, le rythme de la voiture trop rapide pour les hésitations. Combien de paysages ai-je abandonnés, me promettant d’y revenir, sans jamais m’y résoudre ? L’acte photographique s’inscrit dans le présent, un instant né qui ne survit pas à la procrastination, la lumière changeante rend le futur toujours décevant. Cette fois, je fais demi-tour, avant que la bâtisse ne s’envole.❞
Arno Brignon accompagne son travail photographique mêlant paysages et portraits de famille, d’un texte dont la qualité littéraire témoigne avec une touchante sincérité de son expérience, de ses rencontres et de ses réflexions. Dans ce journal de bord tenu pendant le voyage sont notés les dates et les lieux, mais aussi ses doutes, ses enthousiasmes, ses rencontres, ses inspirations, ses souvenirs d’enfance auprès d’un père toujours sur le départ et déjà vers l’Amérique, ses regrets — celui d’hésiter par timidité à photographier l’humain par exemple, l’ennui comme moteur créatif, la mélancolie en clair-obscur, sa conception du Rêve américain à un moment où l’Amérique a décidé de voter Trump pour la première fois.
Parsemé de morceaux de poésie et de chansons, émaillé de références à Wim Wenders, Dennis Hopper, Nicolas Bouvier, Sylvain Prudhomme ou l’incontournable Jack Kerouac, cet ouvrage, précieux pour ce qu’il dit en montrant, est édité sur un épais papier d’un crème profond par les éditions Lamaindonne fondées par David Fourré à Marcillac-Vallon, une petite commune d’Aveyron.
Un cadeau à (se) faire qui vient en soutien à de petits éditeurs exigeants qui font un travail merveilleux.
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꧁ Illustration ⩫ ©Arno Brignon ꧂
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