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L'art délicat de... écrire une quatrième de couverture

 ꧁ René Magritte, L'Oeil, 1968 ꧂
꧁ René Magritte, L'Oeil, 1968 ꧂

 

 

 

 

 

La quatrième de couverture est comme le trou de la serrure par laquelle on aperçoit le roman.

Marie Desmeures, jadis responsable de la collection Babel 

aux éditions Actes Sud

 

 

 

 

  

Dans un billet précédent, Séduire... la première de couverture, je me suis intéressée au plat recto qu’est la première de couverture. Il est temps à présent de  retourner le livre et de découvrir quel est l’enjeu de la 4e de couverture, ce petit texte trompeusement relégué à l’arrière.

Trompeusement ?

Oui. La quatrième, aussi appelée plat verso, est une page décisive, voire stratégique. Certes, la couverture et le titre accrochent le regard, mais c’est la 4e de couverture qui invite le lecteur à ouvrir le livre et l’incite à l’acheter… ou pas. 

 

Promenez-vous en librairie et observez les lecteurs pour vous en persuader. Les éditeurs, eux, sont déjà convaincus de l’intérêt de ce petit paratexte qui est l’objet de toutes leurs attentions. Il ne sera pas question ici des autres éléments qui doivent figurer à cette page : ISBN, prix, le cas échéant biographie/photo de l’auteur, nom du traducteur, crédit photo, etc. Ne sera pas traitée l'édition numérique, et pour cause, puisque la 4e y est la grande absente.

 

Remonter le temps

 

La 4e de couverture est un phénomène assez récent, du moins dans la forme qu’on lui connaît aujourd’hui. Il faut remonter aux Lumières (XIIIe siècle) pour en trouver une première ébauche, embryonnaire certes, tenant plus du prospectus publicitaire. Au XIXe siècle, le prière d’insérer, texte bref et élogieux, au nom sans équivoque, était envoyé aux directeurs de journaux qui le faisaient paraître dans leurs colonnes afin de tenir leur lectorat au courant des nouveautés éditoriales. Ensuite sont venues les feuilles volantes placées dans les ouvrages (aujourd’hui, on parlerait de tract) et, plus tard encore, des raisons économiques ont conduit à mettre à profit le plat verso pour y imprimer ce petit texte.

 

Écrire une 4e est un travail d'équilibriste

 

De nos jours, à vouloir répondre aux très nombreuses interrogations en la matière, on s’aperçoit que la règle est qu’il n’y a pas de règle pour rédiger une 4e.

On peut tout de même se poser quelques questions : Quelle place accorder à ce texte ? Quelle doit en être la longueur, la teneur ? Par qui doit-il être rédigé ? l’auteur ? l’éditeur ? un quatrièmiste ? (le terme est affreux, mais il a été forgé par la profession). Comment promouvoir une œuvre sans racoler ? Comment dire tout le bien que l’on pense d’un ouvrage sans paraître tapageur ? Comment piquer la curiosité du lecteur sans trop en dire ? etc.

Une chose est sûre : la rédaction d’une 4e requiert finesse et virtuosité pour ne pas tomber dans le piège du dithyrambe

 

Qui pour l'écrire ? L'auteur ? l'éditeur ? un rédacteur ?

 

J'ai fait aujourd'hui la notice que l'on doit glisser dans les exemplaires de presse de mon livre. Il est ridicule et gênant d'écrire ainsi sur soi-même, mais si je ne le fais pas, un autre le fera à ma place, et plus mal encore.

Julien Green

 

Comment un auteur pourrait-il être acteur et spectateur ? Il est en effet légitime de se demander si l’auteur a le recul nécessaire pour parler de son propre ouvrage.

Chez P.O.L. on semble penser que tel est le cas, alors que chez Le Dilettante, on préfère que l’auteur reste à l’écart. Chez Actes Sud, la 4e de couverture est l’affaire de l’éditeur qui offre une lecture de l’ouvrage subjective et assumée comme telle, là où chez Albin Michel, exception faite d’Amélie Nothomb, auteur de la maison qui tient farouchement à rédiger les siennes, il revient à Anna Colao d'écrire ces prière d’insérer - jusqu’à une quarantaine par mois tout de même. Inutile de préciser qu’avec une telle charge, les ouvrages ne sont pas lus en entier et que la 4e est concoctée à partir des notes du comité de lecture.

 

La plupart de temps, la rédaction de la 4e de couverture est un exercice conjoint auquel se livrent l’éditeur et l’auteur. Ce dialogue est souvent initié par l’éditeur. Chez Gallimard, par exemple, on soumet à l’auteur un brouillon qu’il peut modifier à sa guise, ce que certains ne se privent pas de faire, et parfois de manière radicale. Il arrive également que ce soit l’auteur, ayant une idée très précise de ce qu’il souhaite, qui propose un texte pour sa 4e. 

 

Quelle longueur ? Quelle teneur ?

 

Dire sans dire, et sans tromper.

Anna Colao, éditrice chez Albin Michel

 

Ce paragraphe peut être long, bref, laudatif, descriptif. Ce qui est sûr, c’est que chaque maison d’édition a une charte tacite, une éthique éditoriale qu’elle entend respecter.

Ainsi, Paul Otchakovsky-Laurens, le regretté fondateur de P.O.L., aimait à rappeler que ce paratexte a une vocation toute littéraire et en aucun cas promotionnelle. Inutile donc de faire long pour donner la tonalité du livre. À l’opposé, les 4es d’Actes Sud sont des textes nourris d’un résumé suivi d’un commentaire, un choix périlleux quand on sait qu’il est souhaitable de ne pas désavouer l’intérêt qu’il y a à lire l’ouvrage. Chez Gallimard, les 4es tenant en deux lignes sont jugées racoleuses et peu respectueuses d'un lecteur qui doit être convenablement informé. La citation nue, l’extrait significatif, sont des parangons de sobriété et de concision qui tendent à être délaissés puisque le lecteur potentiel a tout le loisir d’ouvrir le livre pour se faire une idée du style de l’auteur. À tout le moins, la citation doit être contextualisée dans les lignes qui la suivent.

 

La quatrième répond en partie à une nécessité commerciale, ce n’est donc pas une partie du livre, c’est déjà autre chose. 

Ludovic Escande, chez Gallimard

 

Quelques conseils de rédaction

 

La quatrième de couverture doit créer le désir, c'est son premier but. Elle doit créer le désir, oui, mais tout en ressemblant au livre : l'équilibre n'est pas toujours facile à trouver. Et le pire est de tromper le lecteur avec une accroche mensongère.

Karina Hocine, directrice littéraire des éditions Lattès

 

Clarté, précision, concision doivent présider à la rédaction de ce petit texte qui n’est ni vraiment dedans ni vraiment dehors, et qui s’adresse autant au lecteur potentiel qu’aux médias.

Les recours à la 3e personne, au temps présent, aident à ancrer l’intrigue. Claire Delannoy chez Albin Michel affirme qu’il ne faut pas employer des mots que l’auteur n’aurait pas utilisés afin de ne pas trahir la tonalité du roman. La surenchère de superlatifs, que l'on rencontre fréquemment sur les 4es d'éditions étrangères, est à bannir, car loin de jouer un rôle prescripteur, elle fait fuir le lecteur français qui n’est pas dupe qu'on lui jette de la poudre aux yeux et qui se dit que tout cela est trop beau pour être vrai.

 

Pour résumer, mieux vaut accrocher qu’expliquer.

 

Suivent quelques exemples de 4es de couverture qui montrent l’éventail des possibilités et des choix éditoriaux.

 

 

 

 

 Aux éditions Héloïse d’Ormesson, la 4e joue la couleur sur un fond blanc. Elle propose un résumé, en noir, dont la phrase d’accroche, en rouge, est mise en avant. Suivent l’avis mesuré de l’éditeur, une photo de l’auteur qui occupe toute la largeur, assortie d’une très courte biographie mise en relief sur un fond qui reprend la couleur du logo de la maison, couleur changeant d'un ouvrage à l'autre. Une 4e pétillante, qui donne l'air de se jouer des canons, sans vraiment le faire. À l'image de la maison.

 

 

 

 

 

 

Aux éditions Viviane Hamy, les 4es de couverture reprennent le code couleur de la maison, rouge et noir. Le texte, justifié, serré, se détache en blanc. Un extrait du début du roman est suivi d’un résumé. Un court paragraphe, enfin, présente l’auteur, ses thèmes de prédilection, ses précédents succès.

 

 

 

 

 

 

Chez Préludes, le nom de l’auteur et le titre sont repris et mis en avant sur un fond uni qui reprend la couleur dominante de la 1re de couverture. Suit un court paragraphe, le célèbre pitch censé ferrer le lecteur qui poursuit sa lecture par un résumé du roman. L’avis de l’éditeur dans des termes louangeurs (avec brio, vibrant, poignant) achève de convaincre. Le texte est non justifié à droite.

 

 

 

 

 

 

Gallimard affiche le sérieux de la maison et joue la carte de la sobriété en choisissant de reprendre le nom de l'auteur et le titre de l'ouvrage, avant d’insérer une citation et de livrer un résumé qui, à mon avis et pour ce livre-ci du moins, en dit beaucoup (trop). Le texte, justifié, témoigne du soin apporté.

 

 

 

 

 

 

Les ateliers Henry Dougier offrent une 4e sobre, sur fond blanc.  Le titre est suivi d’un résumé qui sait ménager l’intérêt qu'il y a à lire l’ouvrage. La courte biographie de l’auteur est surtout là pour faire état de ses précédentes publications et des prix reçus.

 

 

 

 

 

Les éditions de l’Olivier ont fait le choix d’une 4e fournie : une citation suivie d’un résumé qui intrigue sans trop en dire. La graisse change pour présenter l'autrice dans une courte biographie qui met en avant ses précédentes publications et la réussite de ce roman. L’avis très (trop) élogieux - à l'américaine - d’une revue reconnue est supposé apporter une caution toute particulière et vient clore la 4e sur une note quelque peu tapageuse.

 

 

 

 

 

 

Les éditions Philippe Rey proposent une 4e justifiée sur fond blanc. On y découvre un résumé du livre qui, à mon avis, devrait moins en dire, ainsi qu'un avis mesuré écrit par l'éditeur. Il est suivi d'une citation, non justifiée (allez savoir pourquoi !), dont la police reprend la couleur dominante de la 1re de couverture. Nulle trace de l'auteur. Il faut pour cela ouvrir le livre ; une très courte biographie se trouve sur le rabat.

 

 

 

 

 

Les éditions de la Table Ronde ont fait un choix d'une extravagante sobriété : aucun texte sur la 4e de couverture. Le paratexte, parce qu’il y en a bien un, évidemment, est imprimé dans les rabats. Il faut donc ouvrir le livre pour prendre connaissance de cette 4e qui donc n'en est plus vraiment une. Et on sait bien que quand un lecteur a ouvert un livre...


꧁ Illustration ⩫ René Magritte, L'Oeil, 1968 


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